30 ans avant les frères Lumière

Une préfiguration du cinéma

C'est ce "jouet" que LDH fera évoluer pour créer son "projecteur" à bande.
C'est ce "jouet" que LDH fera évoluer pour créer son "projecteur" à bande.

   Dans les salons de la bourgeoisie aisée de ce milieu du XIXe siècle, on s'amuse beaucoup avec ces « jouets optiques » aux noms barbares (phénakistiscope, zootrope, phantoscope... etc.) qui reproduisent des petites séquences animées et répétitives.

   Certes, l'obsession de l'Humanité à recréer le mouvement est aussi ancienne que celle à reproduire des images. Elle remonte à la nuit des temps. Et certains voient déjà dans l'art rupestre de Lascaux, Chauvet, Altamira... les prémices du cinéma.

   Le jeune Louis Ducos du Hauron (LDH) est en phase avec l'air du temps puisque déjà, à l'âge de 22 ans, il expose à la Société académique d'Agen, ses théories sur la persistance rétinienne. Quelques années plus tard, il concrétise le fruit de ses recherches – et de sa débordante imagination – en déposant un brevet ayant pour titre. « Appareil destiné à reproduire une scène quelconque, avec toutes les transformations qu'elle a subies, pendant un temps déterminé ».

1° mars 1864 : son brevet sur le "cinéma"

   Que l'on retienne bien cette date – historique – afin de la replacer à la tête de tout ce qui va suivre. Car il faudra attendre 1878-1880 pour voir naître la chronophotographie ; 1891 pour s'étonner du « Salut de Dickson », petite séquence d'Edison préfigurant le cinématographe (terme inventé par le Français Léon Bouly en 92)... L'année 1864 est celle de la naissance de Louis Lumière. C'est dire l'antériorité de Louis Ducos sur celui qui restera dans l'Histoire comme l'inventeur du cinématographe. Et qui n'est que « le dernier maillon d'une longue chaîne de découvertes dont il s'est toujours senti redevable ».

   Ce brevet, conservé à l'Inpi (Institut national de la protection industrielle) est donc la preuve irréfutable que Louis Ducos du Hauron est bien le premier maillon de l'histoire du cinéma. Il est, de plus, le premier à établir le lien avec la photographie alors que les performances et la sensibilité des plaques de l'époque ne permettent même pas de l'imaginer.

1880 : la chronophotographie           1891 : le salut de Dickson                 1895 : le cinématographe Lumière

Une vision tout à fait prémonitoire

   Nous étudierons, dans le PDF consacré à ce chapitre, le détail de ses préconisations techniques sur deux systèmes très distincts. Le premier qui est une préfiguration de la chronophotographie, le second qui aboutira à la caméra et au projecteur sur bande.

   Voyons plutôt ce qu'il nous promet comme spectacle. « Au moyen de mon appareil, je me fais fort, notamment, de reproduire le défilé d'un cortège, une revue et des manœuvres militaires, les péripéties d'une bataille, une fête publique, une scène théâtrale, les évolutions ou les danses d'une ou de plusieurs personnes, les jeux de physionomie et, si l'on veut, les grimaces d'une tête humaine, etc ; une scène maritime, le mouvement des vagues... » etc, etc.

Le fameux appareil à bande souple et oculaires tournants qui évoluera en version projecteur puis caméra.

Aurait-il inspiré le "théâtre optique" de Reynaud (ci-dessous) en 1892.

   Il nous décrit aussi son projecteur à bande souple (horizontale). « Les épreuves étant fortement éclairées, leur image se projettera par l'effet des lentilles sur une toile exposée aux regards d'un grand nombre de spectateurs. » Mais aussi sa version caméra : « toutes les lentilles deviennent autant d'objectifs qui projettent successivement une image sur la bande mobile recouverte de papier sensible. »

   Puis il donne dans les effets spéciaux : " 1 – condenser en quelques instants une scène qui a duré en réalité un laps de temps considérable ; exemple la croissance des arbres... la construction d'un édifice... 2 – réciproquement, faire se succéder avec lenteur les transformations que leur rapidité rend quelquefois insaisissables à la vue. 3 – intervertir l'ordre dans lequel une scène ou un phénomène s'accomplit ; c'est à dire commencer par la fin et finir par le commencement." Il prévoit aussi de photographier des dessins pour produire des dessins animés ; et même d'allier dessins et photographies comme le feront les studios américains avec Mary Poppins (100 ans plus tard) ou Roger Rabbit.

   Extraordinaire ! Il a imaginé les travellings, accélérés, ralentis et les trucages qui feront le fonds de commerce de Georges Méliès en 1900.

Rue du Premier film

   Nous connaissons cette rue à Lyon devant le site des usines Lumière, mais ne serait-elle pas plutôt à Agen ? Certains auteurs affirment que Ducos du Hauron aurait filmé un ouvrier pavant la rue devant chez lui à la « demoiselle ». Son frère Alcide nous parle de ce fameux appareil « qu'il fit exécuter par un mécanicien agenais... » Louis confirme « et qui fonctionne à merveille ».

   Quoi qu'on pense sur la réalité matérielle de ces premiers essais, on ne peut remettre en cause l'inventivité de notre génial compatriote... auquel les frères Lumière rendent hommage. Dans leur autobiographie « L'Eden des Lumières, La Ciotat et le cinéma » ils disent ceci : « Plus de trente ans avant l'invention du cinématographe, Louis Ducos du Hauron a défini un procédé pour projeter des photographies en mouvement ». Et il ajoute : « Dans son additif au brevet, Louis Ducos du Hauron prévoit de façon stupéfiante dans une description visionnaire, le mouvement, l'accéléré, le ralenti, les trucages, le travelling, la réversibilité projecteur-caméra et même les sujets de films qu'on croirait calqués sur ceux que feront les premiers cinéastes»

   Citons enfin, pour conclure, Martin Scorsese, prix Lumière en 2015 pour « son combat en faveur de la sauvegarde du cinéma du passé » qui dit ceci : « Sans Louis Ducos du Hauron, le cinéma n'eut jamais existé ».

Ce dont il avait rêvé...

...trente ans avant tout le monde


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